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DU FLEX-OFFICE AU TÉLÉTRAVAIL : LA QUESTION DU TERRITOIRE A SOI – de la réalité à la fiction (saison 1)

  • par Karine Morenville
  • 11 juin, 2020

S’approprier un lieu, c’est lui donner un sens

S’approprier un lieu, c’est lui donner un sens. Ce sens peut être individuel ou bien commun.

L’important est ce qu’il génère pour chaque personne, car la relation avec un lieu peut être multiple, et fonction de l’investissement que l’on y met.

Dans le contexte de transformation actuel et notamment de la démocratisation du télétravail, la réflexion collective sur le « territoire à soi » est un enjeu d’autant plus essentiel que le travail s’invite dorénavant à la maison.

Dans ce premier article, revenons sur ces quelques grands principes qui nous éclaireront sur les réactions émotionnelles pouvant être engendrées par l’aménagement de l'environnement de travail.

Dans un second article, appliqué au contexte actuel, nous évoquerons l’impact du télétravail sur l’extension horizontale du territoire à chez soi, et ses conséquences possibles, directes et indirectes, sur l’immobilier d’entreprise.

Et dans un troisième article, nous nous projetterons dans un futur proche et imaginerons comment ce territoire à soi pourrait être profondément réinvesti et apprécié dans l’immobilier d’entreprise et résidentiel.

 

SAISON 1 : DES CODES A DÉCODER POUR MIEUX SE PROJETER

Dans une excellente et très synthétique étude intitulée « Un besoin de territoire à soi*», Serge SCHMITZ, donne quelques clés de compréhension pour un aménagement des espaces.

Le partage de l’espace, que l’on soit dans son logement, dans l’entreprise ou sur une plage, marque le besoin de mettre en place une certaine stabilité et donc de retrouver un sentiment de sécurité et de bien-être, même si celui-ci n’est qu’éphémère.

Au bureau, cela se concrétise très facilement par l’installation d’affaires personnelles, de photos, posters et dessins d’enfant. En façonnant ce lieu à son image, on se l’approprie et on retrouve ainsi chaque jour ce « repère-repaire » comme une passerelle invisible qui nous relie à notre propre intimité et nous donne confiance. On marque ainsi son territoire au milieu des autres, en posant des limites clairement distinctives.

Serge SCHMITZ évoque également la notion d’attachement au lieu. Plus la personne s’engage dans le devenir du lieu, donc dans sa personnalisation, plus elle s’y attache. Donc, plus l’engagement est fort, plus le changement sera difficile, sans nouvelle appropriation préalable.

Grâce à ce territoire à soi, on se positionne également par rapport aux autres et on s’identifie au lieu par un sentiment à la fois d’appartenance et de reconnaissance.

« J’ai ma place attitrée que je retrouve chaque jour, donc je fais partie du groupe, donc j’existe. Ou j’ai un bureau solo qui affirme ma position de manager. Ou encore plus mon bureau est spacieux, mieux je me sens considéré.e dans l’entreprise. »

Et donc inversement, plus on optimise ou neutralise un lieu sans anticipation, plus on le déverse dans l’anonymat - soit en supprimant les bureaux fermés, soit en n’attribuant plus aucun bureau - plus on crée une dépersonnalisation, un désengagement et un sentiment d’abandon. « Je ne suis plus reconnu.e soit en tant que manager, soit en tant qu’individu en général. » Et chez les personnes sensibles et très attachées à l’appropriation (elles sont nombreuses, car l’humain est d'abord fait d’émotions), les sentiments de stabilité et de sécurité peuvent très vite s’effondrer. Certaines personnes pourront développer un stress, d'autres s’éteindre et se retrancher sur elles-mêmes pour mieux se protéger. Et certains managers, peu matures, pourront compenser la perte de leur territoire réservé en affirmant d’une façon autoritaire leur pouvoir. Le résultat sur la communication, l’autonomie et la responsabilisation des équipes en sera très dégradé.

C’est le revers de la médaille, alors que l’objectif initial était bien d’ouvrir et de partager l’espace pour mieux communiquer et être plus agiles ensemble.

Mais tout n’est pas perdu ! Serge SCHMITZ de compléter : « Un même espace peut être approprié par des personnes différentes à condition que leurs usages du territoire soient compatibles et n’entrent pas en conflit. » Et de souligner « l’importance de la communication pour éviter de tomber dans des logiques territoriales où l’espace serait purement interdit d’usage à d’autres groupes. Dans les faits de société, cela nécessite non seulement des arbitrages mais aussi des aménagements et la sensibilisation des usagers au partage de ces espaces. ».

Donc des compromis territoriaux existent bien, entre pairs qui se reconnaissent mutuellement, par équipes ou directions par exemple. Faut-il simplement les rendre possibles, en mettant en place, pendant le projet de transformation immobilière, des moments de partage. Ces moments de co-construction permettront une appropriation progressive et une meilleure acceptation du changement.

L'entreprise Pernod-Ricard, dans le cadre de la construction de son nouveau Siège à Saint-Lazare a consulté tous ses collaborateurs lors d'ateliers de co-création, pour imaginer avec chaque équipe leurs aménagements. Les paramètres variants, ouverts à la co-conception, avaient été préalablement définis par un groupe de travail. De la même façon qu'avait été imaginée la création de "villages" en flex-office par Directions, et les interrelations entre "villages".

Serge SCHMITZ précise que le lieu est d’abord inscrit dans la matérialité de l’espace, « mais aussi défini par les sociétés et les individus qui y inscrivent leur histoire. Les investissements personnels, le vécu individuel complètent les composantes de la signification des lieux ».

La co-construction de nouveaux modes de travail et d’un nouvel espace est l'occasion de recomposer une histoire collective, à partir des histoires individuelles, inspirantes et fondatrices, qui vont donner un sens commun au lieu, d’une façon symbolique et personnelle. Anticiper et concerter, c'est donner la possibilité de s’ancrer collectivement et durablement dans un nouveau territoire à soi.

Voilà de quoi retrouver du sens en partageant stabilité, sécurité, identité et par extension appartenance et reconnaissance.

En lieu de conclusion, ou plutôt de transition avec l’article qui suivra, une question d’actualité se pose forcément : est-ce que le COVID 19 et la nécessité de renforcer l’hygiène et la sécurité sanitaire des bureaux va provoquer un retour massif des bureaux individuels, fermés et attribués ?

Ce complet retour en arrière semble quand même peu probable, surtout si l’on considère la démocratisation du télétravail ou plus généralement du travail à distance, et la nécessité de mettre en place des organisations hyper-flexibles. Quoi qu’il en soit ces organisations sont à réinventer globalement au sein des entreprises, et donc l’immobilier, lui aussi, devra s’adapter en proposant des solutions innovantes.

 

* « Un besoin de territoire à soi : quelques clés pour un aménagement des espaces communs » - Serge SCHMITZ - Revue de géographie Belgeo – 2012

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